FAIM DU MONDE

 

C’est la guerre, la fin du monde, 1999, fin de millénaire, il ne reste plus assez de temps pour nous aimer, que faire ? !

Les américains veulent annexer la planète, les islamistes envahir nos cerveaux ramollos, les ethnies éternuent, les petits états font les crapauds, les grandes puissances roulent leurs mécaniques à la face de la misère.

En attendant que le bogue de l’an 2000 fasse péter au nez des terriens son feu d’artifice incontrôlable, que même Bill Gates et tous les « water gates boys » n’eussent pu prévoir, il ne nous reste plus qu’à vivre, pleinement et à gorge déployée.

Viens mon amour ma joie, sur la colline aux senteurs orientales, sans doute on verra Jésus Christ dans un caleçon à fleurs de Monoprix, il aura sa plus belle auréole, à dentelles mécaniques. Puisqu’on a les mêmes choses sur le cœur…

La Terre se barre du système solaire, ça ne tourne pas rond, personne n’y croit, il y a les péages, la bouffe surgelée, et des primates crasseux qui s’entretuent pour la sauvegarde de leur lopin de merde. Tu vois, je ne vais pas faire une manif de plus, le temps presse, laisse moi t’aimer ou aime moi, faisons honneur à quelque idée folle, mais surtout, ne m’emmène pas faire les courses, ne me conduis pas au combat, empêche moi de me liguer contre ces gueux de tout poil, fais-moi oublier que nous ne sommes rien, des grains de poussière, des inutiles, des profiteurs, des petits petits, des merdaillons ! Je suis écœuré de mon espèce, je crache sur leurs bombes, je pisse comme je pleure, j’ai honte de tout ce bordel, de cette déviation fatale, de ces erreurs et de ces abominations.

Un matin se lève, le ciel est encore là, le soleil est beau, les champs fument, les oiseaux chantent la liberté, je me lève pour une fois et je trouve que c’est magnifique ! Tu n’es pas avec moi, mais j’ai dans le cœur quelque chose de gravé, un message ultime, qui ne tient qu’à un fil, mais crénom, que la dérision balaie une bonne fois toutes les théories, les organisations et les coalitions ! 

C’est la fin du monde, demain la guerre réduira la pêche géante en un noyau mal sucé, je veux mourir en t’ayant connu, en étant sûr de ça, au moins ! Ne me fais pas faux bond, ne m’achète pas, ne me vends pas, ne m’aliène pas, croquons croquants et craquons!

An 2000 on s’en fout, des peuples crèvent, des affamés s’étiolent, des soldats tirent, des états calculent, des actionnaires actionnent la manette du jackpot, des cons se tuent à survivre, des océans sont salis, des forêts décimées, des villes champignonnent, des hommes jouent, des femmes se font belles, des enfants se prostituent et sont esclaves, fais-moi rêver, dis-moi que l’amour existe, dansons, crachons dans la soupe !

Que veux-tu laisser de ton passage, un cri, un tag, un crime, une maison, l’image ou le sentiment, que faut-il faire pour enrayer le chaos ?

On aura beau gueuler à l’abattoir, on sait quand même que les vampires sont carnivores, que les bouchers sont rouges, que la panse est faite de suffisance, chair à canon, chair amie, tendre humanité tu es vouée à te faire bouffer, pourvu que les crétins affamés aient faim du monde !

L’eau du lac s’étend comme nous, qui s’allonge et frémit, quoi de mieux que ce silence et que cette envie, que de plus bel hommage à la vie ! Le vent nous parcourt et nous inspire les plus belles folies, les herbes se plient et nous nous couchons sur cette terre, rien de concret ne pourra prendre et estimer cette fenaison. Les saisons nous chagrinent et nous émoustillent, nous brûlons et nous nous recroquevillons, rien des civilisations, des religions n’aura la force de nous freiner dans cet élan salvateur.

Les avions militaires, les stratégies, les constructions, les facilités du progrès ne pourront venir à bout de nos envies aux tripes.

Tandis qu’ils baliseront, pendant qu’ils délimiteront, que le carnage les satisfera, nous aurons vécu l’impossible, le sublime, les petits plaisirs et l’incommensurable.

Votez, guerroyez, rationalisez, salissez, faites comme chez vous, rien n’y fera, la bête déjouera vos pièges, il suffira d’une exception, vous n’aurez de pouvoir que la mort, et ça ne nous fait pas peur !

J’ai ton regard, j’ai nos sourires, ils ne nous auront pas, je bafoue leur geôle, je marcherai sans chercher d’autre salut que le plaisir. J’aurai dans la tête ces images affreuses et puis cet horizon réconfortant, je me moquerai des étroitesses, je déjouerai leurs suffisances, je n’ai besoin que des étoiles, je ne crois pas en leur fondation, leur mètres carrés.

Laissons de côté leurs faux-semblants, embrassons-nous de la plus impudique des façons, qu’ils aillent aux dieux !

Que notre aventure périlleuse et incertaine soit la plus grande des conquêtes ici bas, qu’il n’y ait rien de plus inaccessible et haut, de plus mystérieux et d’enrichissant, de plus inconfortable et de plus satisfaisant, de moins sûr et de prévu.

Déployez vos drapeaux, nous nous roulerons dedans, nus et amants, allongez vos routes et faites-y glisser vos carcasses, nous planerons plus haut, organisez vos peurs, nous oublierons les nôtres dans des yeux complices, travaillez pour la production, nous bâtirons pour les vents des cœurs gonflés à bloc dans lesquels nous ferons le tour de la rondeur.lac.jpg (11231 octets)

Nostradamus l’a dit, Michel Polnareff aussi, nous irons tous chez Pierrot, qu’on soit des anges ou des salauds, la planète Terre est souillée, ça occupe les doigts des profiteurs, des rebelles armés, des moralistes et des croyants, des industriels et des financiers, des petits rois et des prolétaires, des pauvres, des affamés, et rien de tout cela n’a de sens, tout ne ressemble qu’à une farce stupide et à la cruauté, à une barbarie qui se déguise de mieux en mieux, bientôt la 2000ème représentation théâtrale du désastre mis en scène et à sang, Robert Hossein pourrait y donner un nom !

Ma tendre, j’ai l’honneur de vous aimer, que pouvais-je rêver de plus fort et de plus beau, faire la nique à cette condition terrienne, j’étais dans l’impasse, abattu, incapable d’apporter un secours à mes frères, impuissant de pouvoir mener une action d’envergure, militer comme on prie, batailler comme on marche au pas, je n’ai fait que pester et biaiser, j’ai aimé le cinéma en 3D, les computers, les rillettes et le camembert, j’ai pris le soleil et j’ai marché dans les hautes herbes et sur les montagnes, il n’y aura plus rien, ce n’est rien, je veux croire que nous avons rendu notre copie en bons buissonniers et qu’il n’est de meilleure éducation.

tombe.jpg (11163 octets)Monsieur le Président, votre horreur, quand vous abaisserez le rideau, avant que la faux ne fauche, vous souviendrez-vous de la plus belle cause à défendre, des plus nobles choses, je ne suis qu’un passant, mais je vénérais ce monde, ces paysages, et les milliers d’étoiles que je voyais briller dans les yeux des terriens.

2000 bogues dans ta mémoire, que le grand Bill te guette !  je vais t’embrasser, comme si c’était la dernière fois, mais on se reverra, même en rêve ! J’ai faim du monde !

 

 

 

ã Lord Inaire – 5 mai 1999

 

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